L'ordre de la pédale lyonnaise
Heureusement, une étudiante qui a récemment complété sa scolarité à Freiburg était présente et a pu traduire les cours, dans les deux directions. La tâche était plus simple avec M. Mishory, dont les conseils demeuraient généralement dans le domaine du concret (ce qui ne l'empêchait toutefois pas de recourir à des images très colorées, complémentées par une riche gestuelle et d'occasionnels mouvements de sa queue de cheval...). Avec M. Moutier, l'entreprise était ordinairement beaucoup plus exigeante, voire périlleuse, en raison du langage hautement métaphorique/allusif qu'il se plaît à employer... (Dans un cours sur la deuxième sonate de Scriabine, pour illustrer la caractérisation qu'il fallait imprimer à une modulation, il s'est lancé dans une vaste allégorie à propos de découvertes territoriales — il fallait être là, je vous dis...) Il faut aussi rappeler que l'allemand parlé par les étudiants de Freiburg n'était pas nécessairement « littéraire »: le défi de la simplification s'ajoutait donc à celui de la pure traduction. Malgré tout, le système a plutôt bien fonctionné.
Un concert où jouaient des étudiants de Lyon et de Freiburg couronnait le séjour. Les étudiants jouaient ce qu'ils avaient travaillé en classe. Le temps était très limité et les participants nombreux; certains n'ont donc pas pu participer. J'ai pour ma part joué le premier mouvement de ma sonate de Schubert (j'ouvrais le concert).
Après le concert, un dernier souper réunissant tout le monde — aux frais de la Hochschule (quel accueil, tout de même)! Ensuite, quelques-uns d'entre nous sont sortis en boîte. Il s'agissait en fait d'un petit caveau; c'était une « soirée étudiants », sans cover. Absolument bondé, donc: à peu près toute la population étudiante de Freiburg devait être là... Si un incendie se déclenchait là-dedans, il me semble que les conséquences pourraient être plutôt funestes... En tout cas, un moment agréable fut eu.
Autres activités fribourgeoises: visite d'une cathédrale, bouffes au restaurant, souper spaghetti plus ou moins impromptu chez une étudiante (hospitalité impressionnante: l'hôtesse et son copain ont préparé de la bouffe pour Dieu sait combien de gens — il a fallu qu'ils fassent deux batchs de sauce pour répondre à la demande...), dévalisage de boutiques (très peu dans mon cas), soirée à l'opéra (Lucia di Lammermoor). Ce n'était pas une production aussi professionnelle que l'opéra que je venais de voir à Lyon, bien sûr. Des seconds rôles plus que moyens, un orchestre parfois approximatif, des décalages, etc. Tout de même, c'est déjà impressionnant de voir des productions d'opéra dans une ville d'environ 200 000 habitants... (imaginez des opéras présentés de façon régulière à Sherbrooke...). La chanteuse qui incarnait Lucia a été impressionante en seconde partie, émouvante même (en première partie, c'était plus inégal — j'étais surpris de voir, par exemple, un décalage d'intonation qui perdurait longtemps après que l'orchestre soit entré...). La mise en scène se voulait, je crois, « réinterprétative », mais je serais bien en peine de vous expliquer de quoi, n'ayant pas tout à fait « capté » (comme disent les Français) l'intrigue — les surtitres n'étaient qu'en allemand. Un certain clash de costumes était affiché: des vêtements rappelant vaguement A Clockwork Orange (en noir et blanc) côtoyaient des habits plus « historiques ».
Bon, il ne me reste qu'un peu de temps pour vous faire part de l'anecdote mémorable qui donne à cette entrée son titre.
Contexte: durant un cours, M. Mishory a fait une remarque sur la pédale et les étudiants de Lyon — il percevait une tendance chez ces derniers à en faire un usage, disons, plutôt libéral. Il professait de son côté un rapport un peu plus ascétique avec l'instrument... Rapidement, c'est devenu un running gag. Toutes les occasions étaient bonnes pour évoquer ce moment.
Si bien qu'à la fin du séjour, M. Moutier a eu une idée franchement géniale (il est possible qu'un étudiant ait suggéré la chose, plus ou moins à la blague, je ne connais pas les détails). Il a entrepris de visiter magasins et ateliers de piano afin de dénicher (entendre acheter!) une pédale. Incroyable mais vrai, il a réussi son pari. Il a fait polir la chose et a confectionné une sorte de « certificat » que tous les étudiants lyonnais ont signé, qui attestait que M. Mishory était fait chevalier de l'ordre de la pédale lyonnaise, ou quelque chose comme ça. La cérémonie a été effectuée lors du dernier repas. J'ai même agi à titre de « page » pour présenter la boîte contenant « l'improbable objet »... Franchement hilarant... Les gens, moi inclus, avaient de la difficulté à concevoir que M. Moutier ait pu réussir à se procurer l'objet. Ah, et en fait, je crois que le « certificat » faisait allusion à la « pédalite lyonnaise », pour éviter des connotations non voulues... M. Moutier a d'ailleurs tenté d'expliquer le tout à M. Mishory; je ne sais pas s'il y est réellement parvenu... Un souvenir vraiment mémorable...
Je vous quitte là-dessus. Soyez sages et proactifs devant l'éternel (c'est très important).
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