Je fais le cercle, OK?

Je reviens tout juste du Conservatoire (*), où était présenté un concert du collectif d'improvisation. Le collectif, composé d'une douzaine d'étudiants et du professeur Jacques Di Donato, clarinettiste de son état (ce qui explique probablement la présence a priori surprenante de trois clarinettistes dans le groupe...), avait accueilli pendant trois jours John Tilbury, pianiste surtout connu pour sa participation au groupe « d'improvisation libre » (free improv) AMM (un excellent groupe) et pour les liens étroits qu'il a entretenus avec les compositeurs Christian Wolff, Cornelius Cardew et Morton Feldman, pour ne nommer que ceux-là (il a enregistré des oeuvres de chacun de ces braves gens; dans le cas de Feldman, une intégrale). Leur travail a débouché sur le concert auquel j'ai assisté. (Intrigué, j'étais préalablement allé seiner du côté de la salle Varèse, au moment où, selon le programme des activités du Conservatoire, devait se tenir une de leurs séances de travail. Je n'y ai entendu qu'un marimba en train de gosser... puis de jouer l'Art de la Fugue! Manifestement, il y avait méprise. Je n'ai donc rien vu des séminaires d'impro.)

(*) Au moment d'écrire ces lignes, bien sûr.

C'était tout à fait digne d'intérêt. Le collectif, scindé en deux groupes différents, « interprétait », un groupe à la suite de l'autre, une « oeuvre » de Cornelius Cardew (présentée comme un sextuor) intitulée The Tiger's Mind — commodément divisée en deux parties, elle aussi. Je crois que ça vaut la peine que je transcrive la chose.

Daypiece
The tiger fights the mind that loves the circle that traps the tiger. The circle is perfect and outside time. The wind blows dust in tigers' eyes. Amy reflects, relaxes with her mind, which puts out buds (emulates the tree). Amy jumps through the circle and comforts the tiger. The tiger sleeps in the tree. High wind. Amy climbs the tree which groans in the wind and succumbs. The tiger burns.

Nightpiece
The tiger burns and sniffs the wind news. He storms at the circle; if inside to get out, if outside to get in. Amy sleeps while the tiger hunts. She dreams of the wind, which then comes and wakes her. The tree trips Amy in the dark and in her fall she recognizes her mind. The mind, rocked by the wind tittering in the leaves of the tree, and strangled by the circle, goes on the nod. The circle is trying to teach its secrets to the tree. The tree laughs at the mind and at the tiger fighting it.


Je me réserve le rôle du cercle, OK?


Sur scène, une chanteuse (drapée dans une espèce de pyjama... ou de peignoir oriental, constamment en train de dodeliner ever so slightly du corps), deux contrebassistEs (deux contrebasses et pas de cordes aigües? [j'adopte ici la graphie rectifiée, infiniment plus logique]), une harpiste (jolie, interventions intéressantes — quoi, vous insinuez que mon appréciation est biaisée?), quatre clarinettistes (eh, quoi dire... soufflants? — s'cusez la... un d'entre eux a joué debout sur une chaise, du début à la fin), une hauboïste (qui s'est beaucoup déplacée), deux pianistes (la baguette [de percussion] feutrée était à l'honneur), un percussioniste (un peu fantasque), un gosseux d'ordinateur (Max/MSP roulant sur un PowerBook — je l'ai entendu dire qu'il avait planché un an et demi sur sa patch) et un gosseux de synthétiseur (Nord Lead). (Oui, j'ai fait un rapide seinage technologique...)

Le concert se déroulait devant une salle pas très remplie — à peu près comme pour le concert Berio/Donatoni? — qui ne savait pas trop à quel moment prenait véritablement fin chacune des prestations (faut dire que les musiciens eux-mêmes n'en semblaient pas tout à fait certains). Clap... eh... clap? Clap clap clap. Les musiciens en état de le faire se déplaçaient de temps à autre — on leur avait probablement suggéré de « prendre pleinement possession de la dimension spatiale ». Ou peut-être leur avait-on dit d'entretenir « un rapport de jeu avec l'espace ». OK, j'arrête de déconner.

Je l'ai déjà dit, j'ai trouvé ça très intéressant. Les musiciens étaient habiles, imaginatifs, attentifs au travail de tout un chacun. C'était peut-être juste un peu trop gentil/smooth/propret/je-sais-pas-quoi... Même les crescendos/sommets me semblaient un peu éthérés... (Guillaume Grenier veut plus de violence!) (...) Il y avait bien des climax, mais ils étaient à peu près toujours amenés par un processus graaaa-duuuu-elllll, par une accumulation bien calculée. J'aurais souhaité quelques explosions inopinées, je sais pas... Peut-être n'ai-je pas suffisamment assimilé le programme de Cardew. Faut sans doute que je me mette davantage dans la peau du tigre. Ou du cercle. Passons... En fait, il y a eu un moment de ce genre vers la toute fin du concert: sans avertissement, le percussionniste, tapi en coulisses, a garroché une cymbale vers la scène, qu'elle a traversé en roulant. Youppi!

Des expériences comme celle de ce soir oxygènent la pratique musicale. Néanmoins, on se rend rapidement compte que réinventer la musique, ce n'est pas simple. Après avoir sciemment rejeté les modes traditionnels de jeu ou une organisation familière du discours musical, après s'être-envolé-vers-on-l'espère-de-nouveaux-horizons (flu-tu-tu), on se campe rapidement dans de nouveaux codes/clichés. Illumination: c'est comme genre si y fallait constamment tout réinventer style c'est comme un cercle vicieux la réinvention condamne à la réinvention. C'est — eh oui, enconre une fois... — une autre incarnation du merveilleux cycle de la vie. Diable, on s'en sort pas...

Il y a un atelier d'impro (encore au stade expérimental, d'après ce que j'ai entendu) qui vient tout juste d'être mis sur pied par un prof de saxophone (un membre de Quasar) à la Faculté. Évidemment, je ne me suis pas encore intéressé de près à la chose. C'est un peu con, je sais: je suis ce genre de trucs à l'étranger, mais pas chez nous... Surtout que je n'avais pas manqué de louanger le projet lors de sa présentation au comité des études. Je ne sais pas s'ils entendaient faire des concerts, par contre (ça serait bien).

Je vous transmets pour conclure ce message d'intérêt public: