M. iLivre, laptop bouddhiste
Analyse de la situation. M. iLivre estime qu'il lui reste moins de deux heures à vivre — dans son incarnation présente. (Les laptops sont-ils bouddhistes? S'ils le sont, ils abhorrent sans doute qu'on les connecte à une prise électrique, perpétuant ainsi leur samsara...). J'ai oublié mon câble d'alimentation à l'appart. C'est peut-être ma dernière entrée avant ma sortie du territoire français. Les sujets à évoquer ne manquent pas. (En fait, les sujets, on s'en moque.) Deux heures, c'est pas beaucoup. C'est même peu. Bla. Bla. Bla. Au rythme où je progresse, je n'aurai probablement écrit au terme de l'exercice qu'une poignée de petits paragraphes — ou une petite poignée de paragraphes —, malgré l'activation de tous mes circuits neuronaux d'ultraoptimalité. Est-il raisonnable d'astreindre l'agrume pourvoyeur du précieux jus blogatoire à une pression aussi considérable? Poser la question, c'est y répondre. Mais la question, c'est: y répondre comment? Je ne sais pas... J'aurais besoin d'un tuyau à ce sujet (vous pouvez m'envoyer un câble).
Dernier cours de piano, hier. J'avais réussi à « finir » la partie A des Territoires de Murail! C'est-à-dire 4 pages. Sur 37. Je l'ai déjà dit: ça sonne vraiment bien. Moutier m'a fourni (et me fournira) des coordonnées de gens qui pourraient m'aider dans le travail du Murail. Dont Murail lui-même, qu'il connaît bien. Super, non? C'était aussi le temps des adieux, puisqu'il (Moutier, pas Murail) devait partir le lendemain (c.-à.-d. aujourd'hui, — enfin, c'était aujourd'hui quand j'ai écrit « aujourd'hui »...).
Je pars pour Paris samedi; ce sera ma deuxième rencontre avec la Ville lumière. On a la fin de semaine to catch up with each other, elle et moi. Mon hôtel est dans le quartier Montparnasse — tout près de l'Hôtel des Invalides, à une vingtaine de minutes à pied de la tour Eiffel.
Après Montparnasse, Montréal; je prends l'avion lundi.
Qu'ai-je fait ces derniers temps que je ne vous ai pas encore raconté? Entre autres faits saignants...
... j'ai arpenté la Tête d'Or, un vaste parc urbain full equip', avec lac artificiel (lui-même équipé d'une île artificielle), jardin botanique, serres, dézzanimôôôôôôô!!! (« Maman, pourquoi il bouge pas, le lion? »), des arbres centenaires, des terrains de jeu (frisbee, football [européen]; la fièvre du aki ne semble pas avoir conquis Lyon — ça viendra) des allées où défilent des jeunes en trottinettes (tout le monde se promène avec ça, ici, du bambin à la mamie), des tout jeunes qui apprivoisent le vélo, des moins jeunes qui s'initient au patin à roues alignées, des patineurs aguerris qui donnent dans la figure de style pour la galerie — faut dire qu'elle est substantielle —, des couples allègres, des couples aigris, des familles en expédition, et puis, parlant de bambins et de mamies, il y en a beaucoup, en formation duo (mamie sort les enfants pour les vacances scolaires; « Viens on va se reposer sur ce banc à l'ombre »)... et j'en passe, et j'en passe...
... j'ai visité le Musée des beaux-arts (gratuit pour les étudiants), l'exposition permanente (de l'Égypte [de nombreuses pièces, notamment, de magnifiques sarcophages] à à peu près aujourd'hui; j'ai été particulièrement impressionné par les vibrants tableaux des maîtres de la Renaissance [Tintoret, Véronèse]) et une expo sur les rapports entre les débuts du cinématographe et l'impressionnisme (je n'avais que très peu de temps pour la voir; en fin de parcours, le fameux Voyage dans la lune de Méliès [complètement délirant] et un autre film, dont je ne me rappelle plus ni le nom ni l'auteur [un film colorisé... et tout aussi délirant]) étaient projetés.
... je suis allé au Musée d'art contemporain, qui présentait une exposition Andy Warhol. Originalité de l'expo: on n'y montre pas les oeuvres qui ont fait sa célébrité (soupes Campbell etc.), mais plutôt celles de sa dernière période créatrice. Une fois de plus, ça ne m'a rien coûté: figurez-vous que l'entrée est gratuite pour les Montréalais! (Pour obtenir le tarif réduit dont les étudiants bénéficient, je montre ma carte de l'UdeM, puisque celle du Conservatoire — au format peu pratique — ne fait pas bon ménage avec mon portefeuille. Le préposé y jette un coup d'oeil, me dit: « Vous habitez Montréal? » Je réponds par l'affirmative. Il m'informe que c'est gratuit pour les Montréalais. Interloqué, sceptique, je demande si c'est une blague. Il m'assure que ce n'en est pas une et, pour effacer mes soupçons, me tend la plaquette des prix d'entrée, où il est bel et bien écrit que les habitants de Montréal et de quelques autres villes ont le privilège de visiter gratuitement le musée. Sur présentation d'une preuve de résidence, j'obtiens donc mon billet à zéro euro!) Le musée se trouve dans la Cité internationale, qui agglomère, en bordure du parc de la Tête d'Or et à proximité des bureaux d'Interpol, un centre de congrès, des restaurants, des résidences, des immeubles à bureaux, un casino, un multiplexe de cinéma (j'y ai vu Mon petit doigt m'a dit, adaptation française d'un roman d'Agatha Christie; d'abord d'une fraîcheur séduisante — la prestation de Catherine Frot [vous savez, la bourgeoise d'Un air de famille?] dégage beaucoup de charme, le caractère un peu irréel des dialogues et du cadre amusent —, le film perd de son intérêt au fur et à mesure que s'accumulent les rebondissements de l'intrigue) et d'autres merveilles du monde moderne.
... j'ai fait un tour aux Subsistances, lors de leur week-end printanier intitulé « Ça tranche! » Tiré de leur brochure: « Le projet [faire parler les décapités ou plutôt évoquer, à la première personne du singulier, les derniers instants et pensées d'hommes et de femmes de fiction et d'histoire décapités] est né après la lecture de deux études médicales fort sérieuses. Dans la première le Dr Dassy d'Estaing (1883) déclarait: "après une étude approfondie, et mûre réflexion, il est de mon opinion que la tête demeure consciente pendant une minute et demie suite à la décapitation." Dans la seconde, le Dr Emily Reasoner (A sourcebook of Speech, 1975) explique que "dans un vif état d'émotion, nous parlons à la vitesse de 160 mots par minute." » Je n'avais que peu de temps, ce qui a limité mes explorations à deux séances. D'abord, une projection de courts-métrages, puis un spectacle de cirque. Je passe sur les premiers; le spectacle était présenté par une troupe constituée d'un danseur, d'un circassien (selon la brochure des Subsistances, c'est comme ça qu'on appelle les artistes du cirque) et d'un DJ/musicien. Apparemment, le décor du spectacle qu'ils devaient créer s'est retrouvé bloqué (à cause d'une tempête, je crois?); ils ont donc dû se rabattre sur un projet antérieur.Ce qui ne m'a nullement empêché de passer un fort bon moment. Je laisse encore parler la brochure (c'est facile): « Ce qu'ils font ensemble? des moments de spectacle étranges, à couper le souffle où ils escaladent, grimpent, tombent avec une énergie et un rythme saisissant. Cette mécanique des mouvements, cette virtuosité précise propulsent le spectateur dans un monde imaginaire, bourré d'humour, entre Buzzati et Tati, entre le bonheur d'acrobates souvent comiques et la légère angoisse d'un monde envahi et dévoré par son propre mouvement. » Je sais pas qui est Buzzati, mais la référence à Tati (cinéaste, auteur des Vacances de M. Hulot et de Mon oncle, notamment) me semble très juste.
... je suis allé au ciné. J'ai eu la chance extraordinaire de visionner La Dolce vita sur l'écran gigantesque de l'Institut Lumière — wow. Non, mais quel film... Je n'en avais vu que de courts extraits à la télévision (au cinéma nocturne de Radio-Canada; je m'endormais à tout coup après quelques minutes). Quel génie. De tous ceux que j'ai vus (pas tous, mais quand même une gang), je crois que c'est maintenant mon Fellini préféré. Ça me pousse presque à réviser le concept — c'est un peu n'importe quoi, mais c'est pratique — de Sainte Trinité que j'avais élaboré (Persona, Blow-up, Sunset Boulevard). Faudra voir... J'ai aussi vu des films récents. Du lot, je recommande tout particulièrement deux films japonais (Nobody Knows et The Taste of Tea) et deux films américains (Hair High et Mysterious Skin). Je suggère la plus grande prudence à propos de Locataires, film coréen qui m'a exaspéré.
... je me suis pointé au show d'Autechre. Sublime. Ce sont des génies. Assister à un tel show m'amène presque à sortir des déclarations aberrantes du genre: il n'y a que deux groupes vraiment importants sur la planète, Radiohead et Autechre. Comme je suis paresseux et puisqu'il ne me reste que peu de temps, je reprends un commentaire écrit à la va-vite que j'ai envoyé sur une mailing list:
I went to the show in Lyon and I thought Autechre were absolutely fantastic. Liked it even more than the show they did in Montreal in 2001.... je suis aussi allé me faire lessiver à la première soirée des Nuits sonores. C'est un festival de musiques électroniques (ça fait très classe de pluraliser les substantifs; les Français adorent... et nous ne sommes pas en reste, on s'y met de plus en plus au Québec). Un peu dans le genre de Mutek. Avec moins d'artistes de renom, toutefois. Mais beaucoup de volume. Alors qu'à Mutek, on peut théoriquement assister à l'entièreté des prestations, ici, les événements se chevauchent. Au programme de la nuit de mercredi: plus d'une douzaine d'artistes, à l'oeuvre dans deux endroits différents; ça se déroulait aux Subsistances — dans une grande cour/verrière, le programme tech-house minimale et dans l'autre salle, le programme plus éclectique. De 22h à 7h du mat. Ouch. Je suis resté pratiquement jusqu'à la toute fin, essentiellement dans la grande cour carrée. Globalement satisfaisant, de bons moments furent eus. Il y a dans un événement du genre matière à produire une fascinante étude des comportements sociaux... Sur le chemin du retour, le corps est curieusement disloqué, désarticulé; ce n'est pas une sensation entièrement désagréable. Si ça vous dit, allez voir Mathew Jonson (oui, un t et pas de h) à Mutek. Et évidemment, Autechre à Elektra, s'il reste des billets. Et si ça vous dit.
Of course, Autechre live is a totally different beast than Autechre on record. And what a beast it is... What tremendous control/mastery... Beautiful sounds... (I recall a wonderful sequence where, suddenly, the sound stage was cleared for a "pad" sounding something like a fifth interval, sliding downwards and "intelligently" accumulating in the process some of the "slid-through" tones -- a moment of mesmerizing beauty... and when you thought the sequence would simply end like that, an almost meditative moment of "rest" amidst this kinetic workout, a grinding beat structure was added to the mix -- total hysteria.) Surprising transparency given the complex layering of sound elements -- always busy, but never messy. Very nice flow. The music was really hard-hitting, too... and *fast moving*. As they say, bring your dancing shoes. I could go on and on, but I'll spare you all.
Voilà venu le temps de faire tomber le rideau...
À très bientôt!